CHAPITRE V
— Là-bas ! s’écria Dob Brasdin.
Depuis un quart d’heure, le Mahuc tournait Vainement au-dessus du sol, à basse altitude, jet à vitesse réduite. Mais il était pris dans une de ces tempêtes de nuages rouges qui s’élevaient parfois brusquement en un point ou un autre de la planète Verga et duraient parfois plusieurs heures. Même en plein jour – et il faisait jour maintenant où ils étaient – on ne voyait rien au-delà de quelques mètres. On avait la sensation d’avancer dans une épaisse masse cotonneuse et rougeâtre que le vent tordait et secouait.
Les deux hommes, bien que convaincus qu’ils étaient tout près de leur but, ne savaient plus que faire. Si leur appareil de radio avait fonctionné, ils auraient pu entrer en communication avec le poste 24 et se faire guider par lui. Mais ils étaient aveugles et sourds, désespérés.
— Là-bas, répéta Brasdin, une lueur… Un projecteur…
— C’est là ! C’est sûrement là ! Ils nous signalent leur présence.
Ils étaient tous les deux dans le poste de pilotage, et Brasdin avait repris les commandes. Il actionna les réacteurs d’atterrissage et se rapprocha encore du sol. La lueur disparut, reparut, longue traînée qui fouillait : obliquement l’espace. Ils s’en rapprochèrent lentement, se posèrent. À travers les hublots, ils distinguèrent vaguement un bâtiment métallique. Puis ils virent des gens en scaphandres courir vers leur destroyer. Le cœur de Rad Bissis battait à rompre. Il s’écria :
— Ce sont eux ! Ils nous attendaient !
Il courut vers la cabine donnant accès au sas et ouvrit la porte extérieure de celui-ci. Il entendit la petite sonnerie indiquant que le sas était occupé. Il ferma la porte extérieure, envoya de l’air dans le sas et ouvrit la porte intérieure.
Il reconnut aussitôt Nora sous le masque de son scaphandre. Il la tira à lui, la prit dans ses bras, dévissa son casque. Nora était horriblement pâle, mais souriait.
— Oh ! Rad, dit-elle. Je vous attendais…
Tandis que Brasdin procédait à l’embarquement des autres rescapés, il l’entraîna vers la petite cabine de commandement, où elle acheva de retirer son scaphandre.
De nouveau, il la prit dans ses bras, la sentit frémissante. Ce fut elle qui s’écria :
— Oh ! Rad… Je vous aime… Je vous ai aimé dès le premier jour où je vous ai vu… J’ose vous le dire, parce que je sais que vous m’aimez… Le commandant Jokron me l’a dit il y a une heure, lorsqu’il a appelé le poste… Je n’avais plus d’espoir qu’en vous…
Leurs lèvres se joignirent, mais le jeune homme eut le courage de ne pas trop prolonger ce premier et délicieux baiser. Il installa Nora dans la cabine et courut rejoindre Brasdin.
Il n’y avait au poste 24 que huit personnes, y compris la jeune fille, et les trois malades, grâce aux soins de celle-ci, allaient mieux. Ils purent donc tous s’installer avec un confort relatif.
Dès que le sas fut fermé, le Mahuc reprit son vol. Il ne pouvait pas être question de rejoindre le Gaurisankar. Ils foncèrent donc tout droit dans l’espace. Leurs passagers, en apprenant cette nouvelle, firent bonne contenance. Ils ignoraient, il est vrai, combien les chances qu’avait le petit destroyer d’atteindre la planète Brael étaient minces. Rad ne cacha pas la situation à Nora. D’abord elle pâlit, mais se ressaisit vite.
— Avec vous, mon amour, je suis prête à affronter les pires dangers.
Brasdin avait repris sa place au poste de radar. À peine eurent-ils franchi l’épaisse atmosphère de Verga qu’il appela le jeune lieutenant.
— Viens voir un instant, dit-il.
Rad brancha les commandes sur le pilote automatique et rejoignit son compagnon.
— Regarde dans les jumelles électroniques, lui dit celui-ci.
— Je vois, dit le lieutenant. Il était temps que nous arrivions au poste 24. Les astéroïdes commencent à flamber. Dans une heure, ce sera le tour de Verga V. Dans deux heures, cette planète explosera elle aussi. Je me demande si à ce moment-là nous serons assez loin…
— Espérons-le, dit Rad… Et, dans ce cas-là, nous aurons une chance… La planète suivante, Sirdos, qui a toujours été inaccessible à cause de sa masse, se trouve en ce moment de l’autre côté de l’étoile Loho. Elle ne risque rien dans l’immédiat. Il est même possible que le déchaînement atomique n’aille pas plus loin que Verga… Tout bien pesé, je crois que nous échapperons à l’incendie cosmique…
— Oui. Mais pourrons-nous atteindre Brael ?
— Le voyage durera douze à treize jours. En rationnant les vivres à l’extrême, on devrait pouvoir tenir… Et on peut vivre dans de l’oxygène vicié bien au-delà des limites prévues pour une respiration normale.
Rad Bissis réfléchit un instant.
— Ah ! si notre poste de radio fonctionnait…
— Cela n’augmenterait pas beaucoup nos chances…
Les destroyers-patrouilleurs n’avaient pas été conçus pour effectuer par leurs propres moyens de grandes randonnées. Ils restaient constamment solidaires de l’énorme astronef qui les abritait et, en principe, ils ne s’éloignaient jamais à plus de trois cent mille kilomètres de celui-ci, ce qui, dans l’espace, est fort peu de chose. La portée de leurs émetteurs n’était pas beaucoup plus grande.
— Je vais tout de même, dit Brasdin, essayer de réparer notre radio. Nous ne devons rien négliger si nous voulons être secourus.
Rad regagna le poste de pilotage. Il y trouva Nora. Elle était souriante. Ses grands yeux bleus étaient pleins de tendresse. Le jeune homme lui cacha les terribles soucis qui l’assaillaient. À quoi bon lui donner des craintes supplémentaires ?
Ils voguaient maintenant dans le ciel noir criblé d’étoiles, La planète Ola, qui poursuivait son processus de dissociation nucléaire, était parfaitement visible à l’œil nu. Quant aux astéroïdes en flammes, on pouvait encore les confondre avec des étoiles brillantes, et Rad se garda bien de dire à la jeune fille ce qu’ils venaient d’apprendre.
Il poussa les réacteurs du Mahuc au maximum. Mais la plus grande vitesse que les destroyers pouvaient atteindre dans le vide restait toujours très inférieure à celle de la lumière. C’était la raison pour laquelle ils ne pouvaient pénétrer dans ce domaine quasi abstrait de l’espace qu’on appelait le continuum, et où il était possible de franchir des distances fantastiques en un temps très court. À cet égard, les petits patrouilleurs ressemblaient un peu aux premiers engins qui plusieurs millénaires plus tôt avaient exploré le système solaire et le voisinage de celui-ci. Mais, encore une fois, ils n’avaient été conçus que pour des tâches limitées…
Une heure s’écoula.
La planète Verga, qui d’abord avait rempli tout un pan du ciel, déjà n’était plus qu’un gros lobe lointain et qui rapetissait de minute en minute. Mais Brasdin ne cessait de l’observer dans les jumelles électroniques. Il était très anxieux. Il songeait au Gaurisankar. Celui-ci depuis un moment déjà avait dû s’enfoncer dans le continuum et, avant trois heures, il se poserait sur Brael – une planète de la catégorie B, c’est-à-dire une planète qui, sans offrir absolument tous les charmes et tous les avantages de celles de la catégorie A, était néanmoins parfaitement habitable. Sa capitale, Bory-Sinov, était une ville de dix millions d’habitants, remarquablement équipée, et où l’on trouvait toutes les commodités et tous les agréments de la civilisation. Mais Brasdin, malgré ses pensées mélancoliques, ne regrettait pas d’avoir accompagné Bissis. La fidélité dans l’amitié était une de ses grandes vertus.
Une heure s’écoula encore. Il venait, pour la centième fois, de se pencher sur les jumelles électroniques. Verga, à l’œil nu, n’était plus qu’un petit point perdu dans l’espace. Mais avec le grossissement formidable des jumelles elle redevenait un globe énorme. Le terrible flux des radiations désintégrantes venait de la frapper à son tour. Dans l’hémisphère sud, il aperçut, au milieu d’une étendue glacée, un rougeoiement caractéristique, une sorte de tourbillon de feu… Verga allait flamber à son tour, mais ne deviendrait réellement dangereuse qu’au moment de son explosion. Il prévint Rad, qui le rejoignit dans sa cabine.
Rad, à son tour, contempla le terrifiant spectacle. Le feu atomique s’étendait d’instant en instant sur la planète qu’ils avaient quittée. De nouveaux foyers s’allumaient un peu partout. « Si nous n’avions pas sauvé Nora, pensa-t-il, elle mourrait dans quelques minutes. » Mais son cœur restait lourd. Il fut envahi par un terrible désir de vivre. Ils étaient déjà à plusieurs millions de kilomètres de Verga V et, avant que la planète explose, ils seraient encore beaucoup plus loin.
— Je crois que nous ne risquons plus rien, dit-il, comme pour se rassurer lui-même.
— Je l’espère, dit Brasdin.
Ils restèrent un moment silencieux et pensifs. Tout à coup, Rad poussa une exclamation.
Il avait les yeux fixés sur l’écran de radar à grandes distances.
— Qu’est-ce que c’est ? s’exclama-t-il.
Une sorte de traînée lumineuse traversait en oblique tout l’écran. Brasdin sursauta.
— Je n’ai jamais rien vu de pareil ! s’écria-t-il.
— Encore quelque chose qui flambe ?
— Je ne crois pas… Mais c’est fantastique…
— La distance ?
Dob Brasdin fit un rapide calcul.
— Pas très loin… Pas plus de cinq cents kilomètres… Sur notre gauche par rapport à notre ligne de marche… On doit voir ça à l’œil nu.
Il ouvrit l’écran qui masquait un hublot. Une ligne pâle, mais légèrement lumineuse, barrait le ciel de ce côté-là.
— Qu’est-ce que ça peut bien être ? demanda Rad.
— Sûrement pas des météorites… Elles ne s’enflamment que lorsqu’elles traversent l’atmosphère d’une planète.
Il se pencha sur les jumelles électroniques et les fit pivoter lentement. De nouveau, il poussa une exclamation.
— Je crois…, dit-il. Je crois que ce sont des durups.
— Non !
— Si… La traînée a une couleur verdâtre… Je distingue des points isolés à l’avant et à l’arrière… C’est une cohorte de durups. Il y en a certainement des milliers. Ils doivent fuir eux aussi le cataclysme atomique… Tous ceux qui avaient leurs repaires dans les astéroïdes, et ceux qui avaient commencé à envahir Verga. Tiens, regarde…
Rad Bissis regarda.
— Je crois que tu as raison, dit-il. Et nous ferons bien de nous écarter un peu de leur route…
Le jeune homme regagna le poste de pilotage et manœuvra les commandes en songeant qu’ils ne sortaient d’un péril que pour entrer dans un autre.
*
* *
Ils voguaient depuis huit heures.
Il semblait qu’ils n’avaient plus rien à craindre ni des durups qui s’étaient éloignés ni du déchaînement monstrueux qui avait détruit deux planètes et une ceinture d’astéroïdes. Encore quelques heures et ils sortiraient du système de Loho pour naviguer dans le vide vers le système de l’étoile Wolly, dont Brael était la deuxième planète.
Nora dormait dans la cabine du capitaine. Les autres passagers, après les angoisses qu’ils avaient vécues, avaient maintenant bon moral. Bissis et Brasdin eux-mêmes reprenaient espoir. La perspective de passer une douzaine de jours dans le petit astronef où la place était si limitée n’avait rien d’agréable, d’autant plus qu’il faudrait se rationner et passer les derniers jours dans un air plus ou moins vicié. Mais chacun acceptait ces inconvénients avec courage. Si rien d’imprévu ne survenait, les chances de survie étaient maintenant assez grandes.
Brasdin s’était mis en devoir de réparer le poste de radio. Plus ils approcheraient de Brael, plus les possibilités de rencontrer un astronef augmenteraient. Il n’était même pas exclu que le commandant Jokron eût envoyé un vaisseau de l’espace pour les secourir. Mais dans son travail sur le poste émetteur, Dob se heurta d’emblée à de grosses difficultés : il manquait plusieurs pièces essentielles. À la rigueur, il pouvait tenter de les fabriquer lui-même, avec l’outillage sommaire qui était à bord, mais ce serait assez long.
Toutefois, il se mit à cette tâche, tout autant pour s’occuper les mains et l’esprit qu’avec l’espoir de la mener à bien. Quant à Rad, il était heureux et déjà formait des projets d’avenir – de ce merveilleux avenir qu’il allait vivre avec Nora si la chance les accompagnait jusqu’au bout.
Vingt-quatre heures s’écoulèrent encore. Le jeune lieutenant avait fait l’inventaire des vivres qui étaient à bord du destroyer, calculé les rations journalières. Ils n’auraient pas trop à souffrir de la faim.
Il dormait dans son fauteuil de pilotage – car toutes les couchettes étaient occupées par ceux qu’ils avaient sauvés et qui étaient moins habitués qu’eux à vivre durement – lorsqu’il fut réveillé tout à coup par une main qui le secouait. Brasdin était penché sur lui, le visage bouleversé.
— Qu’y a-t-il, Dob ?
— Je viens de faire une effroyable découverte.
— Quoi ?… Quoi ?…
— Un des deux générateurs d’oxygène n’était pas pourvu de réserves.
— Ce n’est pas possible ! s’exclama Rad sur le ton du saisissement.
— Viens voir toi-même… Rappelle-toi que le Mahuc était en réparation… Un des deux générateurs n’était pas encore rechargé. Quand nous sommes partis, dans l’affolement de l’alerte, personne n’a songé à nous prévenir.
Rad ne put faire que la même constatation que son ami.
— C’est affreux, murmura-t-il.
Au lieu de pouvoir tenir, au grand maximum, douze jours, ils n’auraient de l’air respirable que pour six jours. Ce serait très insuffisant pour qu’ils atteignent Brael.
Ils restèrent un moment à se regarder sans rien dire.
— Pas un mot à nos passagers, dit Rad. Ils s’apercevront bien assez vite de ce qui nous arrive.
— Hélas !
— Notre seul espoir est maintenant dans le poste de radio. Il faut le réparer coûte que coûte. Je vais t’aider. Ne perdons pas une minute.
Lorsqu’il retourna dans la cabine de pilotage, le jeune homme y trouva Nora. Elle était souriante. Il eut beaucoup de mal à sourire lui aussi. Elle le prit dans ses bras et lui dit :
— Nous sommes définitivement sauvés, n’est-ce pas ? Vous verrez, Rad, comme nous serons heureux.
*
* *
Cinq jours s’étaient écoulés depuis qu’ils avaient fui la planète Verga.
Le spectacle qui régnait à bord du Mahuc était affreux, désolant. Depuis plusieurs heures déjà, les dix créatures humaines perdues dans l’espace ne respiraient plus que difficilement. Elles n’osaient plus se regarder entre elles. Elles demeuraient couchées, pour n’accomplir que le moins d’effort possible. Pratiquement, elles ne mangeaient plus. Seuls Rad Bissis et Dob Brasdin gardaient encore un semblant d’activité. Après avoir travaillé sans presque prendre de sommeil pendant plusieurs jours, et après vingt essais infructueux, car les pièces de rechange qu’ils avaient façonnées n’étaient pas au point, ils avaient réussi à remettre en marche le poste émetteur d’ondes. Depuis, ils se relayaient pour lancer des S.O.S. dans l’espace.
Mais il y avait bien peu de chance pour qu’un astronef croisât dans un rayon de trois cent mille kilomètres et pût ainsi entendre leurs appels.
Ce qu’il y avait de terrible, c’est que maintenant ils captaient, eux, toutes sortes de messages lancés par des émetteurs puissants et provenant d’astronefs ou de planètes. C’est ainsi qu’ils apprirent que le Gaurisankar était bien arrivé sur Brael cinq jours plus tôt. Ils apprirent même qu’on les cherchait. À deux ou trois reprises, en une heure, ils enregistrèrent le message suivant : « Astronef Maloïs à destroyer-patrouilleur Mahuc. – Sommes à votre recherche. – Ne perdez pas courage si vous nous entendez. – Signalez sans cesse votre position si vous avez pu réparer votre poste émetteur. »
Cela leur avait donné un peu d’espoir. Mais l’aire qu’ils pouvaient couvrir avec leur propre appareil n’était qu’un grain de sable par rapport aux millions et aux millions de kilomètres qui les séparaient encore de Brael.
— Il est vrai, dit Bissis – qui cherchait encore des raisons d’espérer – que l’astronef qui nous cherche doit se tenir sur la ligne la plus directe entre Verga et Brael. Et c’est cette ligne même que nous suivons.
Il parlait à voix basse, pour ménager son souffle. Ils tâchaient de ne respirer que le moins possible. Mais parfois ils étaient obligés d’aspirer spasmodiquement une grosse gorgée d’air qui ne leur donnait qu’une illusoire sensation de bien-être.
Rad passait de longs moments dans la cabine où reposait Nora. La jeune fille faisait preuve d’un admirable courage. Mais ses traits étaient défaits, ses yeux assombris par la souffrance. Sa belle poitrine se soulevait de temps à autre, dans une lutte terrible contre l’asphyxie. Ils ne parlaient qu’à peine. Ils se tenaient par la main, et se contentaient de se regarder. Elle murmura :
— Dire que nous aurions été si heureux…
Un des passagers – un ingénieur des mines – se suicida en s’ouvrant les veines. Il avait laissé un mot : « Je n’en peux plus. Je préfère mourir. Ma mort augmentera vos chances de survie ».
Les survivants n’étaient plus que des fantômes dans un vaisseau fantôme. C’est en vain qu’ils continuaient à lancer des S.O.S. dérisoires.
*
* *
Les premières heures du sixième jour furent atroces. Ils suffoquaient. Une femme criait toutes les trois minutes :
— Tuez-moi ! Je vous en supplie, tuez-moi !
Elle n’avait pas le courage de le faire elle-même. Un homme qui s’était endormi mourut.
Rad prit l’ultime décision, car leur mort à tous maintenant était proche – une décision qui prolongerait leur vie d’une dizaine d’heures encore : revêtir les scaphandres. Car chaque scaphandre était pourvu d’un réservoir autonome d’oxygène.
Ils étaient tous si faibles qu’ils eurent beaucoup de mal à procéder à cette opération. Mais dès qu’ils eurent fermé hermétiquement leurs casques et établi le circuit, ils eurent la sensation miraculeuse de renaître – comme des poissons que l’on remet dans l’eau. Ils remplissaient leurs poumons d’un oxygène frais et pur. La vie revenait en eux, et la force. Malgré le poids des scaphandres, ils purent se mouvoir plus facilement qu’avant. Et Nora eut le courage d’adresser un sourire, à travers son hublot, au jeune lieutenant.
Brasdin avait regagné la cabine de radio et recommencé les appels. Mais toujours aussi vainement.
Les minutes s’écoulèrent, puis les heures. De nouveau, ils n’osaient plus respirer. Bientôt les malaises recommencèrent. Le fait d’être dans des scaphandres aggravait encore leur sensation d’étouffement. Un des passagers, ne pouvant plus y tenir, dévissa son casque, ouvrit deux ou trois fois la bouche, puis s’effondra au sol…
« Nous sommes perdus », pensait Rad. Il s’était allongé près de Nora. Ils se regardaient tristement à travers leurs hublots. Ils se sentaient tous les deux sur le point de défaillir.
Brasdin, dans la cabine de radio, avait ses deux mains crispées sur sa poitrine. Il lui semblait qu’il respirait du feu, que ses poumons brûlaient. De temps à autre, il se mettait à l’écoute sur la longueur d’onde dont s’était servi l’astronef Maloïs, qui n’avait cessé de leur envoyer des messages. Le Maloïs venait de donner les indicatifs habituels. Mais ce qui suivit arracha un cri à l’astronaute : « Avons recueilli votre appel. – Nous vous voyons maintenant sur notre radar. – Ne modifiez pas votre vitesse ni votre direction. – Dans deux minutes, nous nous rangerons auprès de vous. – Revêtez vos scaphandres. – Préparez-vous à passer dans votre sas de sortie. – Confirmez si avez bien reçu ce message ».
Une joie sans borne envahit le cœur de Brasdin. Il ne sentait plus qu’il était sur le point d’étouffer. Avec une hâte fébrile, il lança ce message : « Mahuc à Maloïs. – Bien reçu votre message. – Suivons vos instructions. – Faites vite. – Sommes au bord de l’asphyxie ».
Il se leva, trébucha dans le couloir, tomba, se releva. Sa tête tournait. Il comprit qu’il valait mieux ne pas prévenir ses compagnons, mais courir au sas de sortie. Comme ils étaient tous dans des scaphandres, il pouvait sans danger ouvrir les deux portes. C’est ce qu’il fit. Mais l’effort fut tel qu’il tomba ensuite à la renverse, évanoui.
Par bonheur, il fut le premier secouru. Le Maloïs, une minute plus tard, s’était rangé auprès du petit destroyer. Cinq ou six hommes en étaient hâtivement sortis et, voyant le sas du Mahuc tout grand ouvert, s’étaient hâtés d’y pénétrer. Ils avaient d’abord emmené Brasdin, puis, un à un, tous les autres.
Rad Bissis et Nora étaient à demi inconscients. On leur enleva leurs scaphandres et ils reprirent rapidement connaissance. Un homme se penchait sur Rad. Il avait le visage bouleversé par la joie. C’était Joe Koel.
Il bégayait :
— Mon petit Rad… J’ai eu grand peur de ne jamais te revoir et je crois qu’il était temps que nous arrivions. Voilà quatre jours que nous cherchions vainement, et je commençais à désespérer.
Dix minutes plus tard, le Maloïs, dépassant la vitesse de la lumière, plongeait dans la nuit cosmique du continuum où bientôt il atteignait une vitesse fantastique. Ce n’était qu’un petit paquebot, pouvant emmener une soixantaine de passagers, mais il était extrêmement rapide.
En deux heures, il eut atteint la planète Brael. Les manœuvres de décélération et d’atterrissage prirent encore une demi-heure. Il se posa sur l’astroport de Bory-Sinov, non loin de l’énorme Gaurisankar.
Le commandant Jokron, prévenu de l’heureux dénouement de cette dangereuse équipée, était présent pour accueillir les rescapés et leurs sauveteurs. La famille de Nora était là elle aussi. Elle rayonnait de joie.
Jokron serra avec effusion les mains de Rad Bissis. Il lui dit :
— C’est vous qui aviez raison. La folie est parfois payante. La folie et l’amour. Je vous félicite, capitaine.
— Capitaine ? fit le jeune homme en rougissant.
— Oui, mon ami. Votre nomination vient d’être signée. En outre, votre ami Brasdin est fait lieutenant.
Il se tourna vers Koel.
— Quant à vous, mon cher Koel, je suis heureux de vous annoncer que vous êtes élevé aux fonctions de commandant adjoint.